Le monde du travail est un espace privilégié en matière d’innovations, de nombreux modèles se font et se défont au gré des sociétés. Le mechanical turk fait partie de ces courants récents, issus de la gig economy, économie de plateforme, et est aujourd’hui le fer de lance du micro-travail. Les critiques sont nombreuses quant à cette forme d’extrême parcellisation du travail, surtout de ce côté-ci de l’Atlantique. A l’heure où l’on se pose des questions sur le futur du travail, quelles sont réellement les promesses et les limites de cette décentralisation en ligne ?
Mechanical turk, le faux tour de magie qui fait évoluer le travail
Le turc mécanique est un faux automate élaboré par un inventeur slovaque à la fin du XVIIIème siècle. La supercherie consistait à faire croire à un mécanisme capable de jouer et gagner des parties d’échecs. La réalité étaitt tout autre, c’était un joueur de petite taille sous la structure qui réalisait les mouvements.
C’est de ce tour que provient le nom du site internet d’Amazon, Mechanical Turk, créé en 2005 qui, comme sa dénomination l’indique, permet de faire réaliser des tâches informatiques par des hommes. L’idée est de proposer des tâches simples mais non automatisables afin qu’elles soient réalisées par des personnes à partir de leurs ordinateurs. On fait appel à des Turkers pour des classifications de fichiers, des collectes d’URL, la traduction de textes ou la modération de contenus, etc.
Cette nouvelle forme de travail s’inscrit comme une composante de la gig economy. La plateforme d’Amazon est la plus puissance dans le secteur, elle met en relation un grand nombre de pourvoyeurs et d’acquéreurs d’emplois, il y a environ 700 000 tâches quotidiennes à réaliser sur le site.
Une économie du micro-travail
L’idée principale de la décentralisation en ligne est la réalisation de missions simples à moindre coût. C’est alors la possibilité d’une main d’œuvre à bas coût qui peut être particulièrement bénéfique pour des associations à but non lucratif ou de très petites entreprises. Il existe tout de même une barrière à l’entrée qui est la sécurité, le fait de donner accès à certains documents demande une vigilance plus prononcée et parfois même une réelle solution anti-piratage. Pour cela des dépenses doivent être réalisées, ce qui réduit la rentabilité de la délocalisation en ligne.
En ce qui concerne les travailleurs, ce sont des jobs peu rémunérés. Les travaux sont dans 61% des cas payés moins de 0,10$, et seulement 11% atteignent plus de 1 dollar. La main-d’œuvre est détentrice du baccalauréat à 51% et est en majorité comprise entre 30 et 50 ans.
Ces travailleurs réalisent leurs tâches comme complément à leurs revenus habituels : en effet, plus de 52% des employés du site gagnent moins de 5$ de l’heure et seulement 8% sont rémunérés plus de 8$ de l’heure. Amazon Mechanical Turk joue un rôle de hub et propose des statistiques concernant les travailleurs comme le pourcentage de feedbacks positifs, le pourcentage de tâches réalisées ou abandonnées.
Le poids économique du mechanical turk était de 2 milliards de dollars en 2013 et devrait avoisiner les 20 milliards en 2020. C’est une nouvelle solution qui est en pleine ascension et qui peut avoir un impact lourd au sein du marché du travail de demain. Mais pour cela il est nécessaire de prendre en compte les limites du micro-travail comme l’attractivité pour l’exécutant, la complexité technique de la décentralisation en ligne et les velléités financières des grandes entreprises.
La décentralisation en ligne entre présent et futur
De plus, il est important de souligner les débats et les inquiétudes qui gravitent autour de la délocalisation en ligne.
Ce sont surtout des questions de rémunération et de conditions de travail qui se posent. Il est en effet possible d’imaginer des personnes exerçant des horaires totalement inappropriés pour des salaires dérisoires. De plus, le micro-travail fait peur par son absence de cadre juridique, lorsqu’il est utilisé à grande échelle.
Une autre crainte concerne le micro-travail gratuit que chaque internaute exerce à son insu. L’exemple le plus frappant est l’étude de photos lors de certifications (les CAPTCHA : Completely Automated Public Turing test to tell Computers and Humans Appart). Ce test de Turing inversé, pour éviter les logiciels robots, a très vite été détourné de son utilité originelle pour permettre au New York Times et à Google de déchiffrer des textes indéchiffrables par ordinateur. Les acteurs puissants d’internet pouvant offrir des services gratuits peuvent se permettre de faire travailler leurs utilisateurs de manière dissimulée grâce à une simple fenêtre d’identification.
Les intelligences artificielles entrent aussi dans l’équation car elles suppriment les micro-travaux au fur et à mesure de leurs avancées. Il y a donc une fuite en avant vers un travail humain de plus en plus complexe et de plus en plus morcelé.
A contrario, la décentralisation en ligne semble être un élément fondamental du travail de demain. Ce sont peut-être les prémisses d’activités plus qualifiées en ligne et une démonstration de la place forte du travail ponctuel. En effet, ce genre de plateforme devrait évoluer pour mettre en relation des offres et des demandes de plus en plus spécialisée et rémunérée.