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CRISPR/cas9, révolution ou folie génétique ?

Encore largement méconnu du grand public, le système CRISPR/Cas9 est pourtant l’une des innovations majeures de ces dernières années en matière de biotechnologies. Certaines grandes entreprises de l’alimentaire ont commencé à l’exploiter, sans qu’aucune législation ne couvre son usage pour l’instant. Quel est le principe de CRISPR/Cas9 ? Que peut-il apporter à l’agriculture et à l’industrie agro-alimentaire ?

CRISPR/Cas9, de la théorie à la pratique

Depuis déjà plusieurs décennies, les biologistes sont capables d’utiliser différents outils moléculaires pour éditer des génomes. Les OGM par exemple occupent une partie non négligeable des terres cultivées.  Cependant, ces techniques ne sont pas toujours efficaces, sont coûteuses et difficiles à mettre en pratique. La communauté scientifique s’accorde sur le fait que CRISPR/Cas9 est un des outils les plus performants jamais découverts. Découvert dans les années 80, mais dont le potentiel n’est apparu aux chercheurs qu’il y a cinq ans environ, il s’agit d’un complexe moléculaire d’origine bactérienne capable de couper une séquence d’ADN : la métaphore la plus utilisée est celle de ciseaux moléculaires. Il permet, par exemple, d’exciser un gène indésirable dans le génome d’une espèce végétale, ce qui modifie ses caractéristiques. Rapide, relativement simple d’utilisation et surtout peu coûteux en termes d’équipement, CRISPR/Cas9 semble être l’outil idéal pour la modification de génomes à grande échelle. De surcroît, contrairement aux outils plus anciens, il peut agir sur un grand nombre d’espèces différentes.

Mais alors, peut-on dire qu’un organisme modifié par CRISPR est un organisme génétiquement modifié (OGM) ? La réponse ne va pas de soi. Selon l’INRA, un OGM est « issu de cellules dans lesquelles une information génétique a été volontairement introduite pour lui conférer de nouvelles caractéristiques ».  Cette nouvelle technique ne rentrant pas vraiment dans le cadre de la définition ci-dessus, la réglementation appliquée aux OGM ne peut s’exercer sur elle. C’est pourquoi la Commission Européenne travaille aujourd’hui sur la question des New Breeding Techniques (NBT), ensemble de biotechnologies appliquées à l’agriculture dont CRISPR fait partie, afin de parvenir à mettre en place une réglementation.

Actuellement, CRISPR/Cas9 fait l’objet de recherches intensives, notamment aux Etats-Unis : le financement des recherches a atteint 80 millions de dollars en 2014, soit près de 8 fois le montant accordé en 2013, pour environ 200 brevets déposés. La tendance ne semble pas s’essouffler, et les grandes entreprises ne s’y trompent pas : en Septembre 2016, Monsanto a acheté au Broad Institute, un centre de recherche associé au MIT et à l’Université d’Harvard, l’autorisation d’utiliser leurs techniques relatives à CRISPR dans le cadre de l’agriculture. En ce qui concerne la réglementation américaine, celle-ci est pour l’instant très floue, voire inexistante au sujet de cette technique.

CRISPR et l’agriculture : quel intérêt ?

Les aliments transformés nécessitent parfois des étapes nombreuses et complexes pour atterrir dans nos assiettes. CRISPR pourrait éviter ces modifications en agissant à la source, c’est-à-dire en modifiant les propriétés mêmes du produit d’origine.

Un exemple simple est celui du café décaféiné. Pour l’obtenir, on a généralement recours à deux méthodes : la décaféination chimique, passant par différents solvants potentiellement néfastes, et la décaféination dite naturelle par l’eau et le dioxyde de carbone, onéreuse et complexe. L’utilisation de CRISPR pourrait permettre de se passer de ces deux méthodes en ôtant à la plante la capacité de fabriquer de la caféine, c’est-à-dire en retirant les gènes impliqués dans son ADN. On obtiendrait ainsi ce produit pour un coût peu élevé et sans utiliser de produits chimiques aux effets reconnus comme néfastes pour la santé.

CRISPR a également un potentiel non négligeable pour rendre les exploitations animales plus éthiques en ce qui concerne le bien-être animal. Plusieurs chercheurs travaillent aujourd’hui sur la possibilité de produire des bovins dépourvus de cornes en supprimant les gènes responsables de leur croissance. Cela permettrait de ne plus avoir recours à l’écornage, pratique douloureuse pour l’animal. D’autres recherches se concentrent sur le système immunitaire des cochons, très susceptibles à certaines maladies virales. L’objectif serait de créer des porcins résistants en supprimant certains de leurs gènes, ce qui rapprocherait leur système immunitaire de celui des phacochères, naturellement résistants aux maladies les plus courantes. La mortalité des animaux d’élevage pourrait ainsi être réduite, ainsi que les pertes financières qu’elle entraîne.

Enfin, CRISPR permet de sélectionner différents traits désirables, que ce soit pour les plantes ou pour les animaux : faible taux en toxines, hypoallergéniques, tolérants à la sécheresse, résistants à certaines maladies… Cela pourrait permettre de réduire le besoin en eau de certaines cultures, ou encore de ne pas utiliser de pesticides.

Quel impact sur notre consommation quotidienne ?

En ce qui concerne le consommateur final, CRISPR pourrait l’aider à simplifier la conservation des denrées périssables. Le tout premier produit modifié par CRISPR/Cas9, ayant reçu le feu vert du Département d’Agriculture des Etats-Unis pour être commercialisé, est un champignon de Paris qui ne brunit pas. Il peut ainsi résister aux altérations causées par la manipulation, par la cueillette mécanique, ou encore par le temps. Son autorisation est due au fait qu’il ne contient pas d’ADN étranger : le seul mécanisme utilisé est la suppression des gènes codant pour l’enzyme responsable du brunissement. Ces champignons peuvent par conséquent être facilement utilisés dans des produits emballés tels que des salades, et ils font depuis peu l’objet d’un dépôt de brevet. De la même manière, d’autres produits sont actuellement modifiés pour améliorer leur conservation en empêchant leur brunissement : pommes, pommes de terre…

Afin d’améliorer le quotidien des consommateurs, la technique CRISPR est aussi utilisée depuis peu dans le cadre de la création de produits hypoallergéniques. Un exemple parlant est celui des œufs hypoallergéniques. Dans le monde, 2% des enfants sont allergiques aux œufs en raison d’une protéine présente dans ceux-ci. Le but est alors d’utiliser CRISPR pour couper le gène à l’origine de la production de cette protéine en particulier. Dès 2016, une première couvée de poules produisant des œufs hypoallergéniques est ainsi née.

CRISPR semble alors être l’outil idéal pour améliorer les produits de consommation de manière aisée et rapide. Ses usages sont extrêmement nombreux et variés. Mais quelles problématiques cette technique peut-elle soulever ?

Les limites de CRISPR/Cas9

Malgré la tendance actuelle à considérer CRISPR comme une technique miracle, de nombreuses questions restent à se poser concernant les risques et les limites qui en découlent.

Tout d’abord, CRISPR est certes une technique extrêmement fiable, avec près de 99% de réussite, mais dans environ 1% des cas une erreur peut se produire, avec un effet similaire à une mutation. Ces mutations, pour la plupart sans conséquence, pourraient dans un infime nombre de cas entraîner une modification du produit pouvant être néfaste pour la santé du consommateur. Un contrôle et un suivi poussé des produits améliorés par CRISPR s’avère donc très important. De plus, la suppression d’un gène n’est pas forcément sans conséquence : ses interactions avec d’autres gènes peuvent être primordiales pour l’organisme en question. Il faut ainsi étudier de manière précise le génome des espèces à transformer ainsi que les différentes relations au sein de celui-ci.

Des risques pour la santé existent également, bien qu’ils soient très faibles. Une petite erreur dans la création de l’ARN guide, dont le rôle est de diriger la coupure de la séquence ADN, pourrait amener à un CRISPR fonctionnel sur des cellules humaines et non uniquement sur les espèces cibles. Le guide étant normalement créé de manière à fonctionner uniquement pour une espèce précise, ce risque est faible mais il n’est pas négligeable. De la même manière, le fragment d’ARN guide pourrait muter naturellement avec le temps et se mettre à cibler des parties du génome auxquelles il n’est pas destiné.

Enfin, l’aspect législatif est crucial et sera probablement le sujet d’intenses discussions au cours des années à venir. La technique CRISPR produit des modifications difficilement détectables, au contraire des OGM où des marqueurs génétiques existent et rendent leur identification aisée. La traçabilité des produits modifiés s’avère compliquée, coûteuse, et la recherche avançant de manière plus rapide que la législation, on pourrait se retrouver dans une situation où beaucoup de produits modifiés par CRISPR seraient commercialisés sans la moindre obligation d’étiquetage. Une réglementation stricte comme pour les OGM s’avèrerait donc nécessaire, mais celle-ci limitera l’innovation dans les structures plus modestes : les procédures d’homologation étant lourdes, exigeantes, elles entraînent un coût de commercialisation élevé que seules les grandes entreprises pourront se permettre de payer.

L’usage de différentes méthodes biotechnologiques pour produire de la nourriture est loin d’être une nouveauté. Avec CRISPR, la boîte à outils s’enrichit. Reste à savoir si l’utilisation de cette technique dans l’alimentation pourra se maintenir quand elle sera encadrée légalement.