Pour qui s’intéresse au futur des moyens de paiement, 2017 et 2018 auront été particulièrement riches en événements. Un nombre conséquent d’innovations en la matière ont émergé, dont beaucoup d’entre elles étaient en gestation depuis longtemps. Leur mise à disposition sur le marché produira, à plus ou moins long terme, des effets durables et profonds pour les clients et les industriels.
La plupart de ces changements sont étroitement liés à l’évolution technologique. Ils renouvellent complètement l’expérience du paiement : celle-ci devient sans friction et de plus en plus invisible. Aujourd’hui, il suffit d’un tapement du doigt ou d’un regard à une caméra pour payer son repas ou commander un taxi.
Si les usages sont en train de fortement évoluer, l’industrie connaît, quant à elle, un véritable bouleversement. Le secteur financier fait déjà face à l’arrivée des fintech qui ont pour particularité première de satisfaire les besoins d’une clientèle de plus en plus en exigeante.
Selon l’agence Venture Scanner, plus de 2600 fintech ont été créés entre 2012 et 2017, proposant du service bancaire, de l’assurance et du financement. Si les grands comptes arrivent, tant bien que mal, à dompter les nouvelles technologies et à racheter ces start up, ils doivent néanmoins s’adapter à de nouvelles réglementations qui remettent en cause leur fonctionnement intrinsèque.
En Europe, les banques doivent, en effet, résoudre une double contrainte qui est d’ouvrir leurs API à des tiers (DSP2) et de protéger les données de leurs clients (RGPD).
Si on s’attarde un moment sur le phénomène Fintech en France, l’étude d’Exton Consulting dresse un bilan sur l’état financier réel de ces jeunes pousses de la finance (54% d’entre elles génèrent moins de 300 K euros de chiffre d’affaires). Dans ce panorama peu reluisant, il s’avère que certaines se positionnent comme des fournisseurs de technologie pour les grandes entreprises, permettant à ces dernières de mieux intégrer, et parfois d’anticiper, les besoins de leurs clients.
Notre méthodologie
Face à ces nombreux défis auxquels sont confrontés nos clients du secteur bancaire et assurance, nous avons voulu, chez Backstory, étudier en profondeur ces nouveaux moyens de paiement :
– Interview d’experts travaillant sur les moyens de paiement chez Natixis Payment Services, Samsung et le Club Méditerranée,
– Veille d’un an sur le sujet (nos principales sources sont citées dans notre étude) dans le tourisme, le retail et la banque.
Vers un paiement de plus en plus invisible
« Les digital natives adopteront plus facilement les nouveaux moyens de paiement, à commencer par le paiement par mobile et le paiement par IoT. Mais quand est-ce que ce sera complètement adopté ? On ne sait pas. Il a fallu 5 ans au paiement sans contact pour commencer à entrer véritablement dans les usages. » Michel Gayan, Responsable Marketing des solutions de paiement par mobile et IoT, Natixis Payment Services.
Aujourd’hui, peu de secteurs vivent, comme le paiement, un véritable changement de paradigme. Ce bouleversement fait que deux mondes parallèles se côtoient : les moyens de paiement avec les monnaies centralisées et l’émergence de moyens de paiement avec des monnaies décentralisées. Cela a forcément des répercussions sur le quotidien des clients : la façon de payer leurs achats (nouveaux moyens de paiement), la relation qu’ils entretiennent avec leur banquier (open banking), la prise de conscience que la monnaie leur appartient et devient un puissant levier économique au niveau local (crypto-monnaie et monnaie locale).
Dans le premier cas, une tendance se confirme, depuis maintenant deux ans, le paiement devient de plus en plus invisible. La technologie joue ici un rôle fondamental. En effet, sans l’essor de la biométrie et du NFC (Near Field Contact), le paiement par mobile et le paiement sans contact seraient encore balbutiants. C’est ce que ce dit en substance, Laurent Moquet Directeur marketing BtoB pour les produits mobiles de Samsung, « Le mobile est aujourd’hui au cœur du réacteur. Grâce à la technologie NFC, nous pouvons industrialiser et associer ces éléments pour proposer un service qui est le paiement par mobile. »
Mais le développement du paiement invisible repose aussi sur l’adoption de son usage par le grand public. Comme le souligne Michel Gayan, « il faut rester humble : combien de temps faudra-t-il aux Français pour adopter le paiement par mobile ? Personne ne le sait. Est-ce que ça prendra moins de cinq ans ? On l’espère. »
Une adoption qui pourrait se faire à marche forcée, si on souhaite rattraper les Asiatiques et plus spécifiquement, les Chinois, les Coréens et les Japonais, plus matures que les Occidentaux sur le paiement par mobile. Une récente étude de JWTi montre que 90% des Chinois veulent payer par mobile lorsqu’ils voyagent à l’étranger. Cet usage massif du mobile, facilité par des applications comme la messagerie instantanée WeChat, nous incite à nous adapter pour éviter, aux touristes chinois, une interruption dans leurs parcours client. L’entreprise Samsung en sait naturellement quelque chose, comme le souligne Laurent Moquet : « Oui, la Chine est un leader sur le paiement par mobile, mais avec ses solutions maison. Par exemple, Alipay est le très grand acteur de cette révolution, en proposant différentes applications de paiement, comme le QR Code. »
Ce constat est aussi confirmé par Cyril Casenave, Directeur du digital au Club Méditerranée : « Les habitudes de paiement des Chinois n’ont rien à voir avec ceux des Français. Par exemple, WeChat n’a pas d’équivalent, c’est un canal de distribution à part entière. Si nous nous comparons avec Air France, nous sommes allés plus loin qu’eux. Nous travaillons avec Alipay et WeChat, mais aussi avec d’autres acteurs comme UnionPay International. Nous proposons ainsi, à notre clientèle chinoise, de faciliter et sécuriser leurs transactions bancaires en France et à l ‘étranger. »
Mais si le mobile devient incontournable, son usage pour le paiement est encore contraignant, du moins en France. David Corneille de Natixis Payment Solutions l’explique clairement : « L’expérience de paiement pour l’usager doit être sans couture, il faut que la promesse soit tenue. Si vous prenez un Uber, la transaction s’effectue sans problème. Ça l’est beaucoup moins avec Apple Pay, pour des raisons principalement logistiques. Les commerçant y sont encore réfractaires. Les nouveaux moyens de paiement sont encore aujourd’hui déceptifs. »
Pour fluidifier leur parcours de paiement, les Français accepteront-ils alors plus facilement d’utiliser la biométrie ? Souriront-ils devant une caméra pour payer leur repas au KFC ? L’argument de la sécurisation des données joue en faveur de la biométrie ainsi que la simplicité de son usage.
Le futur de la monnaie passe-t-il par la crypto et le local ?
Décembre 2017, le monde découvre, médusé, que les monnaies légales ne sont pas les seules à subir de fortes spéculations. Les monnaies décentralisées et virtuelles sont tout aussi volatiles. La forte hausse du cours du Bitcoin en dollars expose cette crypto-monnaie au grand jour. Jusqu’alors cantonné au Darknet et associé à des pratiques frauduleuses (blanchiment d’argent) et illégales (vente de drogues), le bitcoin et l’univers des crypto-monnaies fascinent autant qu’ils inquiètent les gouvernements et les milieux financiers. Si ces derniers ont très vite compris l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de sa technologie sous-jacente, la blockchain, ils restent fortement sceptiques quant à la monnaie.
Lorsque nous avons interrogé les experts sur le sujet, tous ont manifesté un scepticisme, voire une méfiance. Les propos de Michel Gayan reflètent bien le sentiment général : « Je reste méfiant quant aux crypto-monnaies, à cause de la spéculation qu’elles suscitent. Cependant, j’observe cet univers pour voir comment ça va évoluer. »
Néanmoins, des signes précurseurs montrent que l’image des crypto-monnaies évolue plutôt favorablement. Désormais, il est possible à Wall Street de faire des échanges en bitcoin et les gouvernements étudient sérieusement la possibilité de créer leur propre crypto-monnaie. De plus, des rapports, comme celui de Landau, sont remis aux gouvernants pour comprendre l’univers et faire des recommandations sur l’utilisation des crypto-monnaies par un État.
Il en va tout autrement pour l’autre volet des moyens de paiement avec des monnaies décentralisés : les monnaies locales.
Une monnaie locale, ou monnaie locale complémentaire, se définit, en sciences économiques, comme une monnaie non soutenue par un gouvernement national et destinée à n’être échangée que dans une zone restreinte, généralement à l’échelle d’une ville. Depuis la crise de 2008, les monnaies locales sont en plein essor, notamment en France. On en compte aujourd’hui plus d’une cinquantaine dans l’hexagone. Leur émergence est grandement facilitée par la Loi Hamon relative à l’ESS, qui encadre cette pratique.
Pourquoi utiliser une monnaie locale au lieu de l’euro ? Comment payer avec l’Eusko ou la Pêche ? Une monnaie locale a pour principal but de dynamiser une économie locale, en favorisant le commerce et la production de proximité. Elle peut servir aussi à financer des projets locaux, le plus souvent solidaires.
Cependant, il existe quelques limites à l’usage des monnaies locales. Il est ainsi impossible pour un usager d’échanger ses Pêches contre de l’Eusko. De même, il ne peut acheter des produits dans un hypermarché avec et enfin, il ne peut ouvrir de compte bancaire avec sa monnaie locale.
Étude de cas : le futur du paiement dans le tourisme
En dehors du secteur bancaire et financier, le secteur du tourisme contribue à l’émergence de nouveaux moyens de paiement, soit en les adoptant, soit en les développant. Pour répondre aux différents cas d’usage de leurs clients, les principaux acteurs mettent en place des stratégies pour fluidifier les processus d’achat des voyageurs d’affaire et des touristes.
Ainsi, le paiement conversationnel et vocal est un axe de développement, notamment dans la réservation du trajet ou du séjour : Oui.Sncf est disponible sur l’assistant vocal Amazon Echo pour consulter les horaires de train et les prix ; il en va de même avec flightbot qui est un chatbot par lequel on peut réserver et payer son vol.
Pour faciliter la mobilité des voyageurs, on pourra bientôt se déplacer dans les transports en commun en utilisant sa carte bancaire comme un pass navigo.
En conclusion : quel avenir pour la monnaie fiduciaire ?
A priori, le paiement en espèce est la première grande victime de la digitalisation des moyens de paiement, même sur les petits montants. Le secteur bancaire ne cache pas que l’élimination du cash est un objectif. Paradoxalement, une méfiance s’est installée vis-à-vis de la monnaie fiduciaire de la part des autorités. De plus en plus de règlements encadrent son utilisation pour lutter contre le financement du terrorisme ou le blanchiment d’argent.
Cependant, la crise économique de 2008 a freiné quelques ardeurs et le cash est encore apprécié comme réserve de valeur, notamment dans la zone non-euro. Si la monnaie fiduciaire venait à disparaître, tous les paiements s’effectueraient en monnaie digitale, il est probable que les citoyens perdraient tout accès à la monnaie émise par les banques centrales. La monnaie deviendrait alors un enjeu privé, détenue uniquement par les grands systèmes de paiement et les banques. Le citoyen veut-il réellement voir sa monnaie, souvent symbole d’identité nationale, aux mains d’un Alipay ou d’une grand banque et voir les gouvernements perdre encore de la souveraineté ? On mesure encore mal les conséquences d’une totale dématérialisation de la monnaie et de ses corollaires, les moyens de paiement.
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