À l’heure des conclusions concernant les tendances qui ont traversé l’éducation en 2017, il peut être intéressant de les confronter au réel. Pour avoir une vision globale de ce que pourrait être l’éducation dans un futur proche, nous nous sommes adonnés à un exercice de prospective sur l’université de demain. Nous sommes arrivés à quatre scénarios différents qui se distinguent par la cible touchée, le modèle éducatif exercé ou encore l’écosystème dans lequel l’université prend racine. Leur objectif est de montrer différentes visions de ce que pourrait devenir l’enseignement en fonction de l’évolution du marché du travail et des besoins des travailleurs qui en découlent. À titre de complément, nous avons aussi réalisé un scénario catastrophe et un scénario probable afin de s’interroger sur le modèle université présent et l’imaginer à cours terme.
1) L’université, maillon de la vie professionnelle
L’étudiant de fac n’est plus exclusivement un jeune qui vient d’avoir son baccalauréat et qui souhaite découvrir une matière qui l’interpelle. Les étudiants de cette université représentent un éventail générationnel large allant de 18 à 65 ans. Dans un contexte où la formation professionnelle est toujours plus présente dans l’évolution d’une carrière, l’université est disposée à répondre à ces nouveaux besoins. Elle monte des classes multigénérationnelles afin de créer des échanges entre les jeunes étudiants et les personnes possédant déjà une expérience dans la vie active. Chaque professionnel peut s’inscrire dans une formation qui lui permettra de progresser dans son travail ou bien même de se reconvertir dans un autre métier. Dans ce sens, les programmes ont été revus et sont plus professionnalisant, plus portés sur le monde de l’entreprise, et ce pour toutes les catégories d’étudiant. Certains cours sont d’ailleurs élaborés par des professionnels même si l’université reste le berceau de l’académisme et de l’élaboration théorique. Les collaborations se réalisent à plusieurs niveaux ; les enseignants-chercheurs travaillent eux aussi avec des professionnels de référence dans leurs domaines. Cette université co-pensée et co-animée se tournant vers la formation initiale, mais aussi continue, agrémente son offre de certificats que le salarié-étudiant pourra passer, l’objectif étant de prévoir et d’anticiper les besoins des carrières des étudiants présent et futur.
Éléments déclencheurs : L’automatisation du travail ; la spécialisation des tâches ; l’évolution de plus en plus rapide des environnements de travail
Objectifs : Disposer d’une offre adaptée à tous les moments de la vie professionnelle ; promouvoir les classes intergénérationnelles ; rendre l’université plus proche des entreprises.
Freins : Rigueur de l’académisme universitaire ; monopole des formations professionnelles par des organismes privés ; les infrastructures peuvent être considérées comme un frein compte tenu de l’état d’occupation actuel des universités.
Risques : Bien qu’elle soit nécessaire, la vie professionnelle n’a pas vertu à remplacer les professions d’enseignants et de chercheurs, il faut trouver un juste milieu entre ces deux mondes.
Opportunités : La prise en considération de la formation professionnelle peut être une belle opportunité pour les universités en matière de financement et de ressources.
2) L’université qui prône l’autonomie et l’expérimentation
L’étudiant est à la recherche d’une expérience initiatique qui le formera pour ses futures années de travail. À l’image de la piscine et du mode d’apprentissage qui en découle à l’Ecole42, cette université de demain tend à modifier drastiquement ses méthodes pour privilégier l’autonomie. Au-delà de son organisation, l’étudiant devra aussi être plus autonome dans sa recherche d’information et de cours, mais aussi en créant ses propres cours en collaboration avec d’autres étudiants. C’est aussi une université qui mettra l’accent sur l’enseignement collaboratif où les étudiants pourront se donner des cours mutuellement en fonction de leurs appétences et spécialisations. Cette autonomie doit être accompagnée d’une forte numérisation de l’université, les étudiants doivent avoir accès à une large bibliothèque de contenus gratuits afin de constituer leurs cours et répondre aux sujets qui leurs sont imposés. Lorsque l’on dépeint le paysage de cette université, on ne voit pas le visage professoral. Ce dernier change de rôle et enfile une casquette de coach afin d’accompagner les élèves de manière plus personnalisée et plus pointue. Les élèves ont une relation directe avec leurs professeurs, ces derniers devant répondre aux besoins des étudiants et tirer le meilleur d’eux. Dans cette université le professeur a donc un rôle de coach mais aussi de chercheur, tâche à laquelle il consacre une partie de son temps et pour laquelle il peut se faire aider d’étudiant en montant des projets collaboratifs. Ceux-ci seront accessibles aux étudiants qui le souhaitent. L’objectif de cette université est de créer un écosystème de recherche autonome où étudiants et professeurs ont des objectifs communs à différentes échelles.
Éléments déclencheurs : L’arrivée de l’Ecole42 et surtout des disciplines du développement informatique ; accessibilité élargie à la culture et l’information par le biais du numérique
Objectifs : Retranscrire les procédés éducatifs basés sur l’autonomie et le Do-It-Yourself à l’université ; faire en sorte que les étudiants soient plus proactifs dans leur façon d’apprendre et surtout insister sur la pratique.
Freins : C’est un système éducatif très contesté ; l’école 42 n’a pas encore fait ses preuves ; c’est un management éducatif qui semble particulièrement adapté aux nouvelles disciplines du numérique mais peu aux disciplines plus classiques.
Risques : Ces procédés peuvent se retourner contre leurs valeurs premières et s’avérer élitistes ; le taux d’abandon est à prendre en compte il est possible que celui-ci soit encore plus haut qu’actuellement.
Opportunités : Ce modèle peut dynamiser la scolarité des étudiants ; c’est un véritable levier de motivation ; cette grande autonomie peut parfaitement convenir à des profils d’étudiants pour le moment inexploités.
3) L’université de demain sera à la carte et personnalisable
L’étudiant qui se prépare à affronter le travail d’aujourd’hui, sans horaires fixes, en télétravail, en freelance, à l’international, souhaite un système éducatif qui le prépare à ce mode de vie. À l’heure où les travailleurs créeront eux-mêmes leurs postes, l’université sera totalement à la carte, avec le moins de barrières possibles. L’étudiant aura accès à un catalogue de disciplines qu’il pourra sélectionner. Les cours seront en présentiel mais aussi en ligne et en vidéo afin de pouvoir y assister quand il le peut. L’étudiant sera maître de son emploi du temps et aura des décisions à prendre quant aux savoirs qu’il compte acquérir. Même son diplôme sera personnalisé, il regroupera l’ensemble des disciplines pour lesquelles il aura validé ses examens. En plus d’être à la carte, cette université utilisera les technologies de communication afin de permettre à ses étudiants par le biais de partenariats de suivre des cours aussi dispensés à l’international. À l’issue de ses études, l’étudiant disposera d’un portfolio de compétences qu’il aura acquis dans des domaines divers et dans différents établissements. Il pourra alors les mettre en avant et répondre du mieux possible à des postes qui lui conviendront. En fonction de ses appétences et de ses besoins, l’étudiant aura créé un profil sur-mesure correspondant à l’emploi de ses rêves.
Éléments déclencheurs : Spécialisation des emplois ; internationalisation des études ; empowerment des étudiants quant à constitution de leur profil.
Objectifs : Retranscrire les nouveaux usages professionnels dès l’université ; fournir les profiles dont les entreprises auront besoin, en évitant les barrières du modèle classique unidisciplinaire.
Freins : Difficulté administrative de mise en place particulièrement forte, chaque étudiant dispose d’un parcours personnalisé ; difficulté à mettre des partenariats internationaux en place sur un modèle aussi novateur.
Risques : La disparité des profils peut être un problème à terme sur le marché de l’emploi ; les étudiants peuvent être découragés de faire certaines matières à faible valeur université ajoutée.
Opportunités : Le fait de penser une université, unité d’enseignement par unité d’enseignement, peut s’avérer positif en termes de management et de gestion des ressources ; il en est de même pour une université à l’internationale, c’est un modèle qui peut offrir de nouvelles possibilités dans l’organisation de la scolarité des étudiants.
4) Open University Lab
Voir l’université comme un écosystème stimulant où start-up, grandes entreprises, institutions publiques, étudiants et chercheurs co-innovent. L’étudiant de cette université est aussi tourné vers le monde de l’entreprise et souhaite dès le début de ses études participer à des projets professionnels. Ce lieu sera un espace de rapports privilégiés entre les entreprises et les étudiants. L’établissement scolaire sera tourné vers la recherche et l’enseignement, les cours y seront d’ailleurs gratuits mais les étudiants devront donner de leur temps à des travaux de recherche et de bien commun. De plus, les étudiant pourront à travers leur cursus participer à des projets à long-terme avec des équipe pluridisciplinaires, qui seront constituées en fonction des besoins du porteur de projet. Toutes les entreprises et tous les étudiants peuvent d’ailleurs devenir porteur de projet, une plateforme numérique collaborative permettra de mettre en avant les idées émergentes et les travaux en cours. Cette université ville reprendra dans un cadre stimulant les grands principes du management de l’innovation en entreprise. Ce sera un terreau fertile pour les challenges en tout genre, un incubateur sera présent mais aussi un fab-lab, un hackerspace et un living-lab à grande échelle. Les travaux des étudiants se retranscriront dans la vie réelle au sein de ce microcosme, ce dernier restant ouvert sur l’extérieur. L’étudiant pourra évoluer en fonction de son avancée académique, il commencera par participer à des actions avant de devenir lui-même porteur de projet. Ce lieu sera en effet un espace de naissance pour les entreprises des étudiants. Elle aura aussi pour but de privilégier l’action sociale et l’engagement des étudiant. Basé sur la prise d’initiative, la création de valeur, l’innovation et le collaboratif, cette université devra être pensée architecturalement pour offrir un environnement stimulant mais non-autocentré. Le défi de cet établissement sera d’avoir un impact positif sur tout un espace géographique.
Éléments déclencheurs : Culture de l’entrepreneuriat apporté par les startups ; notion d’open innovation en entreprise et dans le secteur public
Objectifs : Penser l’université à une échelle plus grande et l’intégrer dans un écosystème entrepreneurial large
Freins : Coût d’infrastructure, développer un paysage professionnel et éducatif hétérogène qui ne se cannibalise pas ; ce modèle demande une forte prise d’initiative, ce qui peut s’avérer difficile pour l’étudiant.
Risques : Tendance à l’isolationnisme ; risque d’élitisme, d’abandon ou de non-action.
Opportunités : Ce modèle peut-être un véritable élan pour la création de valeur à l’échelle de l’université et des start-up ; c’est un schéma qui semble très bien correspondre à l’entrepreneuriat d’aujourd’hui.
5) Et si tout se passait mal ?
Les modèles vus jusqu’à présent possèdent des points forts et des points faibles, il est alors intéressant de questionner un scénario négatif, où le système universitaire n’irait qu’en s’aggravant.
Cette université n’évoluerait pas dans sa forme et dans son contenu. Les salles de classes resteraient vétustes et les places trop limitées. Cela causerait donc des difficultés encore plus profondes d’orientation à la sortie d’un baccalauréat fournissant toujours plus de diplômés. La conséquence serait alors plus d’étudiants dans des sections au recrutement peu limité dans lesquelles les conditions d’apprentissage deviendraient de plus en plus complexes. Pour ne rien arranger, cette université n’aurait pas réussi à proposer de nouvelles offres de formation plus adaptées au monde du travail et au marché de l’emploi. Dans ce cadre, les étudiants se tournent de plus en plus vers des organismes privés extrêmement coûteux. L’élitisme serait alors particulièrement marqué, seul les étudiants les plus riches auraient accès à des formations de qualité. Les prêts étudiants seraient un recours quasi obligatoire et augmenterait l’endettement des jeunes. Pour ne rien arranger, les formations de type professionnel ne seront pas revalorisées et se retrouveront à l’abandon.
6) Le scénario le plus probable pour l’université de demain
Le scénario le plus probables est bien évidemment une addition de tous les scénarios vus précédemment. Il est tout d’abord probable que le système universitaire soit encore en difficultés les prochaines années afin de trouver les bonnes solutions d’orientation des bacheliers. Mais il est difficile de croire que cette situation est définitive et qu’aucune solution ne sera trouvée, il y a déjà de nombreuses propositions à l’étude. En ce qui concerne le contenu des formations et leurs formes, la tendance à la professionnalisation qui se retrouve dans plusieurs scénarios devrait persister. De la même manière, l’accent devrait être mis sur l’internationalisation des études, les échanges par le biais des ERASMUS devraient être de plus en plus proposés et ce plusieurs fois au cours des études. Ces programmes pour le moment européens devraient être élargis et proposer de plus en plus de partenariat et de plus en plus de destinations. D’un autre côté, les outils de communication sont aussi à même d’apporter des solutions d’internationalisation, la numérisation de certaines classes peut offrir de nouvelles opportunités aux étudiants. Les technologies et surtout leur optimisation devraient améliorer les offres de cours en ligne. C’est déjà le cas pour certaines matières, mais de plus en plus devraient être proposées sur ce modèle afin de s’additionner au présentiel et proposer un modèle hybride de qualité. Un dernier point doit être abordé dans l’université de demain, la collaboration avec des entreprises et des solutions d’entrepreneuriat doivent être trouvées. Il est grandement possible que les universités commencent à créer des tiers-lieux, à l’image des écoles de commerce, comme c’est d’ailleurs déjà le cas à Jussieu.
Quelques informations supplémentaires
Il est à noter que nous n’avons pas intégré à ces scénarios le facteur écologique, il est en effet très probable que l’université, dans son architecture et son fonctionnement, s’inscrive dans une logique de développement durable. Cet aspect n’est pourtant pas l’objet d’un scénario distinct car il devrait être inhérent à tous les cas recensés. De la même manière, nous n’avons pas soulevé les questions sociales concernant l’égalité des chances car c’est une problématique qui doit être posée pour tous les modèles d’enseignement et pour laquelle des solutions doivent être trouvées dès à présent. Encore une fois cela est inhérent à tous les scénarios et l’agilité proposée par ces derniers doit permettre d’évoluer dans le bon sens.
D’une manière générale, ce qui ressort de ces scénarios, est une nécessité pour l’université de s’inscrire sur le plus long-terme dans la vie de chacun. Cela peut passer par une meilleure intégration au milieu professionnel mais aussi en devenant un espace plus innovant, plus proche des jeunes entreprises et plus stimulant. L’université, telle qu’elle est alors présentée garde un aspect académique fort, mais s’inspire des bonnes pratiques de management des organisations. Pour finir, que ce soit par son ouverture ou son intégration au monde extérieur, il semble que l’université puisse gagner à être intégrée à un écosystème plus large. Les interactions locales des universités restant pour le moment très limitées, il est nécessaire que ces dernières soient plus présentent dans l’économie des villes.